Traduction fournie par le Journal des Tribunaux, avec l’aimable autorisation de Swisslex©

Ire Cour civile. - A. c. B., 28 juin 2001; ATF 127 III 357.

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MANDAT. RESPONSABILITÉ DE L’AVOCAT.

Déclaration de renonciation de l’épouse aux contributions d’entretien dues par son ex-mari. - Déclaration non soumise au tribunal pour ratification (pratique bernoise). - Poursuite introduite par l’ex-épouse pour recouvrer le montant des contributions. - Opposition de l’ex-mari levée définitivement par le juge. - Somme réclamée par l’ex-épouse payée par l’ex-mari. - Responsabilité de l’avocat de l’ex-mari, qui a violé son devoir de diligence en ne reconnaissant pas l’invalidité juridique de la déclaration de renonciation, admise par le TF.

Art. 158 ch. 5 aCC; art. 398 al. 2 CO.

Les parties supportent les risques du procès. L’avocat a toutefois le devoir de les informer suffisamment de l’ampleur des risques que présente leur affaire (c. 1).

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Pour entrer en force, une convention sur les effets accessoires du divorce doit être ratifiée par le tribunal. Une convention qui ne remplit pas cette condition n’acquiert aucune validité. L’ignorance de cette exigence pourtant claire et unanimement reconnue peut être imputée à faute à l’avocat (c. 2 et 3).

Le demandeur n’aurait pu diminuer son dommage en intentant une action en répétition de l’indu (art. 86 LP); son ex-épouse n’ayant pas eu de comportement contradictoire et son droit n’étant pas périmé, l’invocation de l’art. 2 CC n’aurait été d’aucune utilité pour lui (c. 4).

Le 9 décembre 1986, le mariage du demandeur A., conclu le 11 septembre 1970, a été dissous par le divorce. Le défendeur B., autrefois conseil du demandeur, a rédigé une convention sur les effets accessoires du divorce signée le 16 septembre 1986 par le demandeur et par son épouse, qui n’était plus assistée par un avocat à ce moment-là; cette convention a ensuite été ratifiée par le tribunal. Elle prévoyait notamment aux points 2 et 3, sur la base des art. 151 et 152 aCC, une contribution d’entretien mensuelle indexée de 400 francs, et ce pendant huit ans à compter de l’entrée en force du jugement de divorce. Le même jour, les époux ont signé une déclaration, également préparée par le défendeur, d’après laquelle l’épouse renonçait irrévocablement et définitivement à encaisser les contributions d’entretien prévues par les points 2 et 3. Cette déclaration n’a pas été soumise à l’approbation de la Cour. Les parties avaient manifesté leur volonté de renoncer aux contributions d’entretien et avaient fixé une rente "pour la forme", dont le montant n’avait pas été déterminé, dans une note manuscrite signée établie lors d’une entrevue le 8 septembre 1986. Le conseil de l’épouse avait d’abord demandé pour elle une contribution d’entretien mensuelle de 500 francs pendant dix ans à compter de l’entrée en force du jugement de divorce, en faisant remarquer qu’en cas de litige, une rente sensiblement plus élevée serait accordée.

En 1995, alors qu’elle n’avait jamais rien réclamé, l’épouse a introduit une poursuite contre le demandeur pour un montant total de 29 127 fr. 37, correspondant aux rentes des huit dernières années (pour autant que la prescription n’était pas acquise). Le demandeur a fait opposition et a à nouveau demandé au défendeur de le représenter. La mainlevée définitive a été prononcée le 1er février 1995. Sur appel du demandeur, la Cour d’appel du canton de Berne a confirmé

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le jugement de mainlevée le 6 juin 1995, en arguant principalement que la convention du 16 septembre 1986 prévoyant le renoncement de l’épouse du demandeur ne pouvait être prise en considération car elle n’avait pas été soumise au tribunal pour approbation, comme le prévoyait l’art. 158 ch. 5 aCC. En outre, le comportement de l’épouse ne constituait manifestement pas un abus de droit. Le 20 juillet 1995, le demandeur a payé le montant réclamé dans la poursuite.

Le 5 mai 1997, le demandeur a actionné le défendeur en paiement d’un montant à fixer par le tribunal, mais en tout cas supérieur à 33 000 francs, intérêts en sus, à titre de sa responsabilité professionnel d’avocat. La présidente du tribunal du 8e arrondissement judiciaire (Berne-Laupen) a rejeté la demande le 21 septembre, de même que la Cour d’appel du canton de Berne le 7 septembre 2000.

Le demandeur interjette un recours en réforme au TF et lui demande de condamner le défendeur au paiement de 35 404 fr. 55, intérêts de 5% dès le 4 novembre 1996 en sus. Le défendeur conclut au rejet du recours.

Le TF admet partiellement de recours.

Extrait des considérants:

1. a) La relation juridique des parties est soumise aux règles du mandat propement dit (art. 394 ss CO), ce qu’elles admettent avec raison, de même que les autorités cantonales (ATF 117 II 563 c. 2a, rés. JdT 1993 I 156 ss, 157).

b) En tant que mandataire, l’avocat est tenu à la bonne et fidèle exécution du contrat et répond envers son mandant s’il lui cause un dommage en violant ses obligations (ATF 119 II 456 c. 2, rés. JdT 1995 I 29; ATF 119 II 249 c. 3b, JdT 1994 I 303 ss, 305 s.). Il n’a toutefois pas à garantir de résultat, mais uniquement une activité déployée dans les règles de l’art (ATF 117 II 563 c. 2a, rés. JdT 1993 I 156 ss, 157). L’avocat n’est pas responsable des risques spécifiques liés à la tentative de faire accepter une conception juridique. Il exerce en cela une activité qui comporte un risque dont il faut tenir compte du point de vue de la responsabilité civile. Il faut notamment considérer qu’il ne répond pas pour chaque mesure ou omission qui, rétrospectivement, a causé le dommage ou aurait pu l’éviter. Ce sont les parties qui, comme auparavant, supportent les risques du procès, et elles ne peuvent pas les répercuter sur la responsabilité de leur avocat.

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c) Pour ce qui est du degré de diligence requis du mandataire, l’art. 398 al. 1er CO renvoie aux règles sur la responsabilité du travailleur dans le contrat de travail (art. 321e al. 2 CO); cela ne signifie pas que le degré de diligence exigé du mandataire est le même que celui que l’on attend du travailleur, mais que le premier répond selon les mêmes règles que le deuxième. Le degré de diligence doit donc être déterminé selon les compétences, connaissances techniques et aptitudes du mandataire que le mandant connaît ou aurait dû connaître. L’éventuelle violation du devoir de diligence d’un avocat doit être examinée à la lumière des circonstances concrètes. Pour qualifier une manière d’agir d’acceptable ou d’inacceptable, il faut considérer d’une part le risque propre à l’activité d’un avocat, d’autre part l’autorité accrue qui est la sienne en vertu de ses connaissances et de sa position.

d) De l’obligation de fidélité découle en particulier pour l’avocat l’obligation d’informer suffisamment son mandant sur les difficultés et les risques que présente son affaire, afin qu’il puisse avoir pleine conscience des risques qu’il devra assumer (Fellmann, Commentaire bernois, n. 412 ad art. 398 CO).

2. a) Le demandeur fait valoir pour l’essentiel que la Cour d’appel a faussement interprété l’art. 398 CO en admettant la validité de la déclaration de renonciation du 16 septembre 1986 et en niant la violation par le défendeur de son devoir de diligence.

b) Au moment de la conclusion de la convention (16 septembre 1986), l’art. 23 al. 2 aLAVS, qui assimilait à une veuve l’épouse divorcée après le décès de son ex-mari pour autant que celui-ci lui versât une contribution d’entretien et que le mariage eût duré au moins dix ans, était encore en vigueur. La Cour d’appel a constaté que c’était à l’époque pratique courante dans le canton de Berne que de prévoir dans la convention de divorce une rente "pour la forme", d’un montant et d’une durée minimes, afin de garantir à l’épouse divorcée son droit à l’octroi d’une rente de veuve bien qu’elle ne demandait pas ou qu’il ne lui était pas dû de contribution d’entretien. En contrepartie, l’épouse renonçait dans une déclaration séparée à la contribution de son ex-mari. Dans une telle opération, il n’était pas usuel de soumettre une telle déclaration au tribunal pour approbation; le tribunal aurait d’ailleurs refusé de la ratifier pour des raisons évidentes. En outre, d’après la conception majoritaire de l’époque, il n’était pas non plus habituel de faire confirmer la renonciation après le divorce.

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c) La Cour d’appel a constaté de manière à lier le TF que le défendeur avait sans doute possible tenu la déclaration de renonciation pour valable. Il s’agit donc d’examiner si, en cela, le défendeur a violé son devoir de diligence en tant qu’avocat.

3. a) La Cour d’appel a relevé dans le jugement attaqué qu’en raison de l’art. 23 al. 2 aLAVS, le procédé choisi par le défendeur était habituel dans le canton de Berne et parfaitement conforme à la pratique. Elle a mentionné que le président de la Cour d’appel connaissait cette pratique de sa propre expérience en tant que président d’une Cour civile. Ni lui, ni les témoins entendus en dernière instance (une ancienne présidente du Tribunal civil de Berne et un avocat bernois), ni le défendeur n’avaient douté à l’époque de la validité de la déclaration de renonciation. Dès lors, le fait que le défendeur n’ait pas prévu dans la convention de divorce une rente minimale symbolique, comme cela était usuel, mais une contribution d’entretien bien plus élevée et de bien plus longue durée, ne jouait aucun rôle.

b) Cette opinion ne peut être suivie.

Une convention de divorce ratifiée par le tribunal au sens de l’art. 158 ch. 5 aCC devient partie intégrante du jugement de divorce et partage son sort (jurisprudence constante depuis les ATF 60 II 80 c. 1, JdT 1934 I 397 et ATF 60 II 169, 170, JdT 1935 I 6; dernièrement, ATF 119 II 297 c. 3 et 3b, JdT 1996 I 208, 210 s.; voir aussi ATF 121 III 393 c. 5b, JdT 1997 I 131, ainsi que la doctrine majoritaire; Bühler/Spühler, Commentaire bernois, n. 172 ad art. 158 aCC). La convention de divorce perd ainsi son caractère de droit privé, contrairement à la transaction (ATF 119 II 297 c. 3, JdT 1996 I 208 ss, 210; ATF 105 II 166 c. 1, p. 169, JdT 1980 I 536 ss, 539; ATF 60 II 80 c. 1, JdT 1934 I 397). Cela signifie, selon la jurisprudence constante relative à l’art. 158 ch. 5 aCC, que la convention portant sur les suites du divorce conclue avant le divorce ne déploie aucun effet juridique si elle n’a pas été approuvée par un tribunal; en conséquence, elle perd toute validité, à l’égard des parties également, indépendamment du fait de savoir si elle concerne ou non la partie de la liquidation patrimoniale liée au divorce dont les parties peuvent librement disposer (ATF 119 II 297 c. 3b, JdT 1996 I 208 ss, 211; ATF 102 II 65 c. 2, JdT 1977 I 362 ss, 365). La ratification par le tribunal de la convention de divorce conclue par les parties est ainsi une condition de sa validité. Toutes les conventions qui ne sont pas approuvées par le tribunal n’ont aucune validité, indépendamment de

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ce qu’elles prévoient une solution plus ou moins avantageuse que celle de la convention approuvée.

c) Pour qu’elle déploie un effet juridique, la déclaration de renonciation aurait dû être faite ou tout au moins confirmée après l’entrée en force du jugement de divorce (Bühler/Spühler, Commentaire bernois, n. 166 ad art. 158 aCC). Dans cette mesure, le demandeur fait erreur quand il prétend que le défendeur aurait dû obtenir la ratification de la convention de renonciation en menaçant de faire appel. En outre, un recours du demandeur n’aurait pas pu être pris en considération car ses conclusions avaient été entièrement suivies dans le jugement de divorce. Le report du jugement, que les parties ne pouvaient pas prévoir, ne pouvait donc rien changer à l’invalidité de la déclaration de renonciation, contrairement à l’opinion du demandeur. En outre, le défendeur n’aurait pu objectivement être contraint, faute de voie de droit à agir de la sorte, car la confirmation de la renonciation ne dépendait que de la volonté et de la bonne disposition de l’épouse du demandeur.

d) Il s’agit là d’une solution juridique claire, unanimement soutenue par la doctrine et la jurisprudence, qui ne nécessite donc aucune interprétation et dont la connaissance fait partie du devoir de diligence de l’avocat (voir Fellmann, Commentaire bernois, n. 409 ad art. 398 CO). Dans la mesure où le défendeur n’a pas vu dans cette situation pourtant claire le contenu, la forme et les effets juridiques d’une convention de divorce, il faut admettre, contrairement à l’opinion de la Cour d’appel, qu’il s’agissait, au moment de la convention sur les effets accessoires du divorce et de la déclaration de renonciation, d’une ignorance imputable à faute au défendeur.

Ce dernier ne peut pas se libérer en faisant valoir qu’à cette époque, même des juges ainsi que de nombreux avocats du canton de Berne croyaient, sur la foi de leur longue pratique, à la validité d’une déclaration de renonciation faite avant le jugement de divorce. Selon le principe error juris nocet, l’ignorance subjective du droit de même que la foi en la validité d’un acte juridique ne protègent pas des conséquences qui en résultent. On ne peut justifier la violation du droit fédéral clair en avançant une pratique cantonale divergente (Fellmann, Commentaire bernois, n. 359 s. ad art. 398 CO et les réf. citées). Le fait que le défendeur ait fixé dans la convention sur les effets accessoires du divorce une rente mensuelle de 400 francs pendant huit ans au lieu du versement unique de 1000 francs ou de 100 francs par mois pendant une année, conformément à la "pratique bernoise", ne joue aucun rôle dans l’appréciation de la violation de

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son devoir de diligence. Par contre, cela joue un rôle pour le calcul du montant du dommage.

e) Selon les constatations de la Cour d’appel, qui lient le TF, le défendeur a assuré au demandeur qu’il n’aurait pas à payer la rente. Dans cette mesure, il n’est pas nécessaire d’examiner si le défendeur pourrait échapper à sa responsabilité en faisant valoir qu’il a suffisamment informé le demandeur de l’invalidité de la déclaration de renonciation et qu’il lui en a ainsi transféré les risques. Dans tous les cas, en manquant à son devoir d’information, le défendeur a violé son devoir de diligence en tant qu’avocat.

4. a) Le défendeur fait valoir à sa décharge que le demandeur, en refusant d’ouvrir action en répétition de l’indu, a contrevenu à son obligation de diminuer son dommage.

b) D’après les constatations de fait de la Cour d’appel, le défendeur a proposé au demandeur de déposer un recours de droit public ou d’intenter, avec de meilleures chances de succès, une action en répétition de l’indu au sens de l’art. 86 LP. Le défendeur n’était toutefois pas disposé à supporter les coûts d’une procédure supplémentaire, comme le demandeur l’exigeait. Il lui a pourtant proposé de rédiger le mémoire de recours de droit public à ses frais pour autant que le demandeur se charge des frais de justice. Bien qu’il n’ait pas été spécialement mandaté pour cela, le défendeur a adressé un courrier à l’avocat de l’ex-épouse du demandeur le 7 août 1995 pour lui demander si, dans l’hypothèse d’une action en répétition de l’indu, il renonçait à une tentative de conciliation. Par la suite, aucune autre démarche n’a plus été entreprise dans ce sens.

c) La question de savoir si, en refusant de supporter les frais d’un nouveau procès, le demandeur a violé son obligation de diminuer le dommage, n’est pas pertinente en droit et peut donc rester ouverte. En effet, aucun des deux moyens de droit - le recours de droit public avec certitude, l’action en répétition de l’indu avec une probabilité confinant à la certitude - n’aurait été couronné de succès. Pour ce qui est de l’évidente invalidité de la déclaration de renonciation, le demandeur n’aurait pu, dans le cadre d’une action en répétition de l’indu, qu’en appeler à l’art. 2 al. 2 CC en faisant valoir que son épouse avait un comportement contradictoire ou que sa longue attente avait entraîné la péremption de son droit à la rente.

aa) Admettre un comportement contradictoire au moment de la déclaration de renonciation serait cependant en parfaite contradiction avec son invalidité faute de ratification par le tribunal, et conduirait

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à l’affaiblissement injustifié des conséquences juridiques prévues par l’art. 158 ch. 5 aCC, qui vise à protéger la partie qui, parce que le mariage subsiste et à cause de la situation particulière durant la procédure de divorce, pourrait être contrainte à des concessions inéquitables (ATF 119 II 297 c. 3b, JdT 1996 I 208 ss, 211 s.; ATF 107 II 10 p. 13, JdT 1982 I 451; ATF 102 II 65 c. 2, JdT 1977 I 362 ss, 365; Bühler/Spühler, Commentaire bernois, n. 158 ad art. 158 CC). On pourrait tout au plus penser à un abus de droit par suite d’un comportement contradictoire (venire contra factum proprium) si l’épouse du demandeur avait eu connaissance de l’invalidité de la déclaration de renonciation au moment où elle l’a faite, et si elle avait volontairement induit son époux en erreur sur sa réelle intention alors que ce dernier ne connaissait ni ne pouvait connaître l’invalidité de la renonciation (Merz, Commentaire bernois, n. 561 ad art. 2 CC). Mais comme le demandeur était précisément assisté d’un avocat, on ne peut pas parler d’abus de droit dans cette affaire.

bb) Avant l’écoulement du délai légal de prescription, il ne peut en général être question d’abus de droit en faisant valoir une créance qui serait périmée que si des circonstances tout à fait particulières surviennent, faisant de l’attente une violation du principe de bonne foi (ATF 116 II 428 c. 2, JdT 1991 I 354 ss, 356 s.; ATF 94 II 37 c. 6b-c, JdT 1969 I 348 ss, 350). De telles circonstances n’existent pas en l’espèce. Le créancier est libre de choisir, pendant le délai de prescription, le moment auquel il entend faire valoir sa créance, et il n’est pas possible de raccourcir le délai de prescription par le biais de l’art. 2 al. 2 CC (ATF 116 II 428 c. 2, JdT 1991 I 354 ss, 356 s.; ATF 94 II 37 c. 6b et c, JdT 1969 I 348 ss, 350; voir aussi Merz, Commentaire bernois, n. 513 ad art. 2 CC). Cela vaut tout particulièrement pour les cas où le délai de prescription est relativement court, comme dans le cas d’espèce (cinq ans). Le TF n’a admis la déchéance de droits en raison d’une longue attente qu’avec une grande retenue et uniquement dans les cas où l’exercice du droit était en parfaite contradiction avec l’inactivité antérieure. Il s’agit principalement de cas d’actions en prévention et en cessation du trouble dans les domaines des droits de la personnalité, du droit de la concurrence et des droits de propriété intellectuelle, pour lesquelles la loi ne prévoit ni délai de prescription, ni délai de péremption, dans la situation où l’ayant droit a toléré une atteinte sans protester pendant un certain temps (ATF 117 II 575 c. 4 s., JdT 1992 I 371; ATF 94 II 37 c. 6c, JdT 1969 I 348 ss, 351; ATF 85 II 129 c. 9, le résumé au JdT 1959 I 582 ne portant pas sur ce point; ATF 79 II 305 c. 2a,

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JdT 1954 I 248 ss, 254; voir également Merz, Commentaire bernois, n. 515 à 539 ad art. 2 CC).

d) Le demandeur n’a ainsi pas violé son obligation d’empêcher la survenance du dommage; le défendeur n’est donc pas libéré.

5. a) Les autres conditions d’une prétention en dommages-intérêts à l’encontre d’un mandataire sont, selon les art. 398 al. 2 et 97 CO, la preuve d’un dommage et celle du critère d’imputation objectif. Il revient ainsi au demandeur d’apporter la preuve du lien de causalité entre l’événement dommageable - la violation du devoir de diligence - et le dommage qu’il fait valoir. Il faut en particulier se demander quelle tournure l’affaire aurait prise et comment le patrimoine du mandant aurait évolué si l’avocat n’avait pas violé son devoir. Le défendeur peut, le cas échéant, tenter de s’exculper.

b) Le jugement entrepris ne contient pas d’informations sur la question du dommage et du critère d’imputation objectif. Sur ces points, l’affaire doit être renvoyée à l’autorité cantonale pour éclaircissement de l’état de fait. La Cour d’appel devra examiner - pour autant que des allégations et des moyens de preuve aient été introduits conformément à la procédure - si le divorce du demandeur aurait pu aboutir par la voie de la convention si la contribution d’entretien avait été minime, voire inexistante; cela aurait été le cas par exemple si l’épouse du demandeur avait disposé des moyens nécessaires, si elle avait pu obtenir un autre dédommagement, ou si le tribunal n’avait pas approuvé la convention dans le cas d’une rente bien inférieure, comme l’avance le défendeur dans sa réponse. Selon les constatations de la Cour d’appel, qui lient le TF, le demandeur et son épouse s’étaient déjà mis d’accord, lors d’un entretien le 8 septembre 1986, sur une rente "pour la forme", d’un montant alors indéterminé, et sur la renonciation correspondante. Le défendeur devra apporter la preuve que le tribunal n’aurait pas approuvé une convention qui ne prévoyait pas de contribution d’entretien, ou alors qui en prévoyait une minime, de telle sorte que le demandeur aurait de toute façon dû supporter (partiellement) le risque du paiement de la rente, parce qu’il n’y aurait pas eu de solution plus avantageuse pour lui que celle qui a été adoptée. Dans un tel cas, le demandeur n’aurait pas subi de dommage.

Trad. A.-S.D.