Traduction fournie par la Semaine Judiciaire, avec l’aimable autorisation de Swisslex©

Tribunal fédéral, 2ème Cour civile. 19 décembre 2002. A.P. c. M.P. 5C.158/2002

** SJ 2003 I page 393 **

DIVORCE. ATTRIBUTION DE L’AUTORITE PARENTALE. EPOUX ETRANGERS. ORDRE PUBLIC.

Cst. 11 al. 1; LDIP 17.

Faits:

Les époux M. sont l’un et l’autre de nationalité iranienne. Le mari vit depuis 25 ans en Suisse, l’épouse depuis son mariage, contracté en Suisse en 1996. Ils ont eu un fils né en 1996. L’épouse a quitté le domicile conjugal en 1997. Les époux vivent depuis lors séparés.

Par jugement du 30 novembre 2000, le Tribunal du district de Bulach a rejeté la demande en divorce de la femme et prononcé le divorce en accueillant la demande reconventionnelle du mari. Le jugement a attribué l’autorité parentale à la mère. Sur appel du mari, le jugement a été confirmé par le Tribunal cantonal de Zurich.

Cet arrêt est en bref motivé comme suit: les effets accessoires du divorce doivent être tranchés selon le droit iranien. Toutefois, en Suisse, la prise en compte de l’intérêt de l’enfant est primordial. Il est d’ordre public. Dans le cas présent, cet intérêt commande que l’autorité parentale soit attribuée à la mère.

Le père a interjeté un recours en réforme contre cette décision, en concluant à l’attribution des droits sur l’enfant. Le Tribunal fédéral a rejeté le recours, notamment pour les motifs suivants:

** SJ 2003 I page 394 **

Droit:

3.1 - Vu la nationalité iranienne des parties, la Convention d’établissement du 25 avril 1934 entre la Confédération suisse et l’Empire de Perse (Iran) (RS 0.142.114.362) s’applique. Cette Convention prévoit à l’art. 8 al. 3 ce qui suit:

"Dans les matières relatives au droit des personnes, de famille et de succession, les ressortissants de chacune des Hautes Parties contractantes sur le territoire de l’autre Partie resteront soumis aux prescriptions de leurs lois nationales. Il ne pourra être dérogé à l’application de ces lois par l’autre Partie contractante qu’à titre exceptionnel et pour autant qu’une telle dérogation y est généralement pratiquée à l’égard de tout autre Etat étranger."

La seconde phrase de cette disposition consacre la réserve de l’ordre public telle qu’elle résulte aujourd’hui pour la Suisse de l’art. 17 LDIP (ATF 85 II 153 ss, c. 7 p. 167 s).

Il résulte par ailleurs de l’art. 8 al. 4 de la Convention que pour l’attribution de l’autorité parentale le droit iranien est applicable aux ressortissants iraniens. La Convention du 5 octobre 1961 concernant la compétence des autorités et la loi applicable en matière de protection des mineurs (RS 0.211.231.01) n’y change rien, car elle reste sans influence sur les dispositions d’autres traités qui liaient les Etats à l’époque de son entrée en vigueur.

3.2 - Dans le droit de famille iranien, les règles diffèrent suivant l’appartenance religieuse des personnes. Pour les chiites, communauté à laquelle appartiennent les parties, le code civil est déterminant. Celui-ci prévoit que l’enfant mineur est, en principe, placé sous l’autorité du père ("walayat").

3.4.1 - En l’espèce, il n’est pas établi que le recourant ne remplirait pas les conditions pour se voir confier les droits sur l’enfant. Il n’empêche qu’il convient d’examiner si l’attribution de l’autorité parentale au recourant est compatible avec l’ordre public suisse.

3.4.2 - La réserve dite négative de l’ordre public permet au juge de ne pas appliquer un droit matériel étranger qui aurait pour résultat de heurter de façon insupportable les moeurs et le sentiment du droit en Suisse (ATF 117 II 494 c. 7 p. 5017; 119 II 264 c. 3b p. 266). En Suisse, le bien de l’enfant est le critère prépondérant. C’est le

** SJ 2003 I page 395 **

développement de l’enfant du point de vue psychique, physique et social qui est déterminant pour la solution (ATF 115 II 206 c. 4a; 117 II 353 c. 3 p. 354 s.; Hegnauer/Breitschmid, Grundriss des Eherechts, 4e éd., 2000, n. 11.62). Le bien de l’enfant a acquis le rang d’une norme constitutionnelle depuis l’adoption de la nouvelle Constitution (art. 11 al. 1 Cst.; cf. Kälin, Grundrechte im Kulturkonflikt, 2000, p. 208). Quant à la Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant, du 20 novembre 1989 (RS 0.107), elle exige à l’art. 9 al. 1 que la décision relative au lieu de résidence de l’enfant doit, lorsque les parents vivent séparés, tenir compte du bien de l’enfant. Par ailleurs, l’art. 3 al. 1 prescrit que "dans toutes les décisions qui concernent les enfants l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale".

Dans ces conditions et compte tenu du principe de l’égalité de traitement du mari et de la femme, il ne serait pas admissible de nier la violation de l’ordre public tout simplement parce que l’attribution de l’autorité parentale au recourant ne menacerait pas le bien de l’enfant. La compatibilité avec l’ordre public exige, au contraire, que l’enfant soit confié à celui des parents qui est en mesure de mieux assurer son développement et auprès duquel sa personnalité pourra s’affirmer de manière optimale (cf. Staudinger/Henrich, Kommentar zum BGB, 13e éd. 1994, p. 494 n. 307).

L’attribution des droits de l’enfant au recourant contrevient ainsi dans son résultat à l’ordre public, à moins qu’une appréciation approfondie du bien de l’enfant n’impose cette solution. C’est ce qu’il convient d’examiner ci-après.

(Trad. et rés.: A.S.)